☀️L’organisation bien huilée de la Gare Montparnasse est perturbée. La grève, comme un début de printemps, amène d’imprévisibles giboulées de gens sous la verrière ensoleillée. Mistinguett plisse les yeux et de petites rides se forment autour de son regard bleu-gris. Elle observe une jeune femme qui avance, un gobelet en carton à la main sur lequel “Julie” est écrit au feutre.
Est-ce seulement son vrai nom ? Il semble à Mistinguett que si elle avait eu un prénom aussi commun et les moyens de se payer un Starbucks, elle s’inventerait un pseudonyme, voire carrément une nouvelle vie, à chaque fois qu’elle s’achèterait un café.
Mistinguett aime l’originalité de son propre surnom. Il lui va comme un gant. Un gant usé par les années à force d’avoir été porté. Elle se l’est d’ailleurs si bien approprié que certains jours comme aujourd’hui, se souvenir de son prénom d’origine lui semble tout bonnement impossible.
— Pourquoi tu rigoles toute seule ?
La vieille femme sursaute et se retourne. Une petite fille est assise sur son banc. D’habitude, personne ne s’installe à côté d’elle. La vieillesse pourrait bien être contagieuse, sans parler de la pauvreté, qui s’attrape plus facilement qu’un rhume des foins. Elle est bien placée pour le savoir.
À travers la verrière, le soleil tombe en rayons dorés sur le visage de l’enfant. Elle a une dizaine d’années, des yeux vifs de la couleur de la mer à marée basse et une tâche de naissance en forme de trèfle au coin du nez.
— C’est ma place, rétorque Mistinguett, j’ai le droit de rigoler si je veux.
—C’est un banc public…